• 5 - Mosaïques émaillées - Expo Arcimboldo - 2008 - PARIS

     

     

    Exposition Arcimboldo - PARIS


    Oh le monsieur en légumes ! … de près, j’avais pas vu que c’est un homme.
    - Regarde maintenant, quelles bestioles se promènent sur ce tableau ? Est-ce que tu vois le petit lézard ? Il est posé sur quoi, dis ? Et le tableau avec les oiseaux, tu sais comment il s’appelle ? L’air.
    Curieux comme cette exposition Arcimboldo se transforme volontiers en leçon d’observation.
    On la dit rigolote et astucieuse. On y pose aux enfants des devinettes du genre "et ça, c’est quoi ?" ; ça te fait penser à quoi ?", on s’y exclame de surprise, comme si au lieu d’une exposition de peinture, on se trouvait devant un spectacle de prestidigitation.
    Bref, on y cherche la petite bête, comme pour ne pas voir ce qui crève les yeux. Mais qu’est-ce donc qui crève les yeux, dira-t-on, si ce n’est pas un monsieur fait de légumes, ou de fleurs, ou de branches mortes ? Eh bien, il me semble que ce qui crève les yeux c’est qu’avec Arcimboldo, on ne sait jamais ce qu’on voit.…
    Curieux comme ce peintre de la métamorphose qui joue avec la représentation comme un bateleur au bonneteau, pour qui les plantes sont humanisées et les humains végétalisés, qu’Arcimboldo donc, ce maniériste, ce truqueur, qui semble se jouer de nous -  "c’est une poire ? mais non, un nez ! mais non, une poire ! " - se trouve ainsi platement ramené à une peinture figurative, voire réaliste. Curieux ? Peut-être pas tant que ça. Peut-être s’agit-il en effet de se défendre contre ce qui, dans ses tableaux, risque de perturber notre perception ordinaire ?
    Resituer d’abord Giuseppe Arcimboldo (1527-1593) dans la Renaissance occidentale des cours impériales, des Grandes Découvertes, et des interrogations religieuses vitales. Il avait quitté Milan, sa patrie, pour les cours de Vienne puis de Prague, en qualité de peintre-copiste. Il s’était mis au service de Ferdinand I de Habsbourg, de Maximilien II, puis de Rodolphe II, des princes à double visage, comme le conseillait à tous les princes Machiavel, mort l’année où naissait Arcimboldo. Attaché au parc-zoo de leurs Altesses, à leurs cabinets de curiosités, et au « musée universel de toute l’existence terrestre », Arcimboldo est forcément habile et avide de tout. Il doit combiner connaissance, recherche, étonnement, et ce que nous appellerions "communication".

    N’entrait-il pas dans la multiplicité de ses fonctions d’organiser aussi fêtes et divertissements ? Autrement dit, courtisan lui-même, il lui faut s’arranger pour désennuyer une cour dont la première salle de l’exposition nous donne, à titre d’échantillons, une dizaine de portraits d’archi-duchesses, de jolies bêcheuses aux yeux froids.

    Revenons donc à l’exposition du musée du Luxembourg. Reconnaissons d’abord qu’à force de décomposer ces tableaux en leurs éléments, l’impression d’ensemble nous échappe comme le mystère des correspondances profondes entre les choses et les êtres. "Il est des parfums frais comme des chairs d’enfant", a écrit Baudelaire… D’accord, chez Arcimboldo, la correspondance est plus grossière. En dehors d’un "monstre" doux et émouvant -  "L’homme velu" - qui appartenait au réel, ce ne sont sur ses toiles que figures sombres, voire torturées. Toutes ont quelque chose de déplaisant, d’hirsute, et de grotesque. On ne les dirait pas faites à l’image de Dieu, mais relevant de quelque diablerie animiste, fabliau médiéval, ou fête des fous. Qu’on pense au Printemps en lourdaud couperosé et ahuri. Ou à ce tableau sinistre, intitulé "le juriste", qui serait le portrait du vice-chancelier Ulrich Zasius, peint en maronnasse, avec des morceaux de poulet plumé écrasés sur la face, et une bouche gluante de poisson.
    Mais l’important n’est pas là. L’important c’est que, sur ces tableaux, personne n’est une seule personne. Ce que nous prenons pour des visages sont des masques, des assemblages de mou et de dur, de vivant et d’inanimé. Il y a là du faux-semblant, du rébus, du puzzle et de la caricature. Sûrement aussi du camouflage et du double-jeu. Rien n’y est simple. Tout y est image, et ces images se retournent et s’entremêlent. On ne sait jamais. On ne peut être sûr de rien. On ne connaît qu’à peine. Et quant à reconnaître ?
    Bien malin (ou bien sot ?) qui croit reconnaître, puisque tout dépend de la façon dont "la chose" nous est présentée, et de la façon dont nous la regardons. Dans ce monde incertain et fluctuant, les certitudes se sont perdues. On ne peut que s’interroger. "C’est un nez ? mais non, une poire ! mais non, un nez !" À l’infini… Pour les gens du XVI siècle, l’aventure intérieure l’emporte sur la dictature des idées claires et distinctes. Les veinards ! Sur ce, attention ! en traversant la rue Vaugirard pour rejoindre la rue Férou, en direction des lions de la place Saint-Sulpice ! Les voitures, dans la rue, sont des voitures, pas des façons de voir.


    Béatrice NODÉ-LANGLOIS
    Musée du Luxembourg - 19 rue de Vaugirard
    Paris 6e - Jusqu’au 13 janvier 2008